mer 24 avril 2024 - 01:04

Paradoxe

Par Annick DROGOU

La racine donne l’idée de conformation, d’adaptation. Tant en grec, la synecdoque, figure de style, qu’en latin, par *decet, il convient. Tel le décor, qui est beau parce que décent, entre autres au théâtre, contrairement à la laideur de l’indécence.

*Dignus, *indignus, *dedignari. De là, la dignité, l’indignité. Le dédain amène à dédaigner, voire s’indigner de ce qui n’est pas conforme.

Avec une voyelle o, le grec, *dokeô, signifier croire, se fier aux apparences. Doxa, c’est l’opinion commune sur un sujet, la réputation de quelqu’un, le concept philosophique traditionnellement admis, la pensée commune, voire l’idéologie en sociologie, d’où l’orthodoxie. D’abord religieuse, la doxologie délimite la prière à la gloire de Dieu.

Et le paradoxe désigne une expression surprenante contraire à la logique formelle, qui dégage ainsi une autre vérité. C’est un choc, une collision volontaire ou pas. entre deux images, deux pensées, deux idées, qu’on n’a pas l’habitude de faire cohabiter. L’effet de surprise tient à cette remise en cause de la logique formelle. Par exemple, faire cohabiter l’autorité et l’autonomie, la cohésion et le pouvoir, l’obédience et la liberté. Entre autres termes à redéfinir.

Le mot dogme, opinion religieuse ou non, est une idée acceptée, et non imposée, en principe. Sauf à s’aggraver dans le dogmatisme et la pensée dogmatique.

Le latin, avec ce même vocalisme, insiste sur la sphère du savoir, docte, docteur, doctoral, document, documentation. Sans pourtant éviter la docilité, aux marges de la doctrine, et surtout l’endoctrinement.

Certaines de nos obédiences se sont très vite et sans ambiguïté déclarées adogmatiques, en refusant la référence obligée à une transcendance divine, comme explication du monde et surtout justification éthique et morale.

Font-elles échapper pour autant à la tentation de la docilité à l’égard de mots d’ordre, de concepts assénés comme vérités indiscutables, de symboles enfermés dans des images et des interprétations figées ? Paresse du poncif…

Se pose la question, cruciale de l’orthodoxe ou de l’hétérodoxe ? A quoi se conforme-t-on ? Qui en décide ? Avec quelle légitimité ?

La Maçonnerie n’est-elle pas, ne devrait-elle pas être une école de pensée autonome ?

En cela réside la force du paradoxe, même inconfortable, dans le regard sur le symbole et sa libre interprétation.

Une vigilance de chaque instant accepte cette charge de violence indubitable contre la croyance toute faite, le prêt-à-penser confortable.

« La liberté de croire ou de ne pas croire » ne saurait être revendiquée mécaniquement, elle suppose l’acceptation de la différence, le respect de l’intimité de chacun, la conscience du miroir que renvoie l’Autre.

Une réflexion au plus profond de soi sur ce que signifie vraiment la liberté…

Par Jean DUMONTEIL :

Le paradoxe est une vigie. Il combat tous les assoupissements. Le paradoxe ne se cultive pas, il surgit dans l’évidence de sa bizarrerie, de son incongruité, mais une fois la surprise passée, le paradoxe tient debout. Il nous réveille et s’impose dans la force de sa singularité pour nous tirer de toutes nos évidences supposées. Il faut l’aimer comme une sorte d’étirement de la compréhension, une hygiène de la pensée, un contournement d’orthodoxie, son enjambement.

Par méthode, on va même le chercher et le goûter dans un raisonnement. Mais le confort moral de la culture du paradoxe est moins aisé quand je m’y trouve confronté. « Pourquoi as-tu fait cela, que je ne comprends pas parce que cela ne te ressemble pas ? » Je pourrais alors dire que ton attitude est illogique, incohérente. Si je la déclare paradoxale, c’est que je veux espérer la comprendre. En la jugeant telle, je te laisse une chance, je ne te condamne pas. Il y a comme un point d’interrogation dans ce paradoxal, qui renferme un germe de confiance.

Le paradoxe comme déviation ou sortie de secours des autoroutes de la pensée ? La réponse à lui faire est un contournement. Le détour en vaut la peine car, toujours, les paradoxes ne sont que d’apparence.

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Annick Drogou
Annick Drogou
- études de Langues Anciennes, agrégation de Grammaire incluse. - professeur, surtout de Grec. - goût immodéré pour les mots. - curiosité inassouvie pour tous les savoirs. - écritures variées, Grammaire, sectes, Croqueurs de pommes, ateliers d’écriture, théâtre, poésie en lien avec la peinture et la sculpture. - beaucoup d’articles et quelques livres publiés. - vingt-trois années de Maçonnerie au Droit Humain. - une inaptitude incurable pour le conformisme.

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