mer 24 avril 2024 - 10:04

Tailler SA pierre

Tailler une pierre est le premier travail effectué par l’apprenti lors de sa cérémonie d’initiation.

En hébreu, la pierre, Eben, est un mot composé des lettres alef, beth, noun, (ן ב א). Alef est la lettre de l’unité non encore manifestée, de valeur 1, elle est de ce fait ce qui était avant le commencement. La lettre beth, deuxième lettre, symbolise la demeure, le monde créé. La lettre noun symbolise l’homme. Eben, la pierre, signifierait : la transcendance trouve demeure dans la pierre pour se révéler à l’homme.

Deux grands courants initiatiques du perfectionnement de l’être sont proposés par la Franc-Maçonnerie: la Franc-Maçonnerie chevaleresque et la Franc-Maçonnerie des constructeurs pour laquelle, on s’en doute, la pierre constitue un symbole central.

Mais, de même que dans l’architecture, la pierre est positionnée selon sa nature et sa fonction, la pierre ne se taille pas, ni ne se place dans une démarche strictement isolée, mais grâce à un cadre, un plan architectural dans lequel s’organise une transmission et une réception ; c’est cet accompagnement qui rend possible la construction. On comprend, ainsi, pourquoi le cheminement lithocentrique comme métaphore principale s’est imposé naturellement à la Franc-Maçonnerie des constructeurs. La philosophie morale, qui en découle, insiste, dans ce but d’élaboration de l’être, sur la prépondérance d’une démarche axée sur les représentations du dénuement, celles du vide, étroitement associées à l’adaptation de la forme de la pierre, «tailler sa pierre» en étant l’expression la plus explicite. Cette parabole lapidaire est en rapport didactique avec l’expression «enfants de la veuve». Par itérations métaphoriques mettant en œuvre le vide, la pierre, d’abord pierre brute et informe, va pouvoir devenir pierre cubique, puis pierre cubique à pointe pour s’ouvrir et laisser apparaître une étoile flamboyante au cœur de laquelle se trouve la pierre philosophale[1]. Pour passer de la pierre brute à la pierre taillée, l’intervention de l’homme, sa volonté individuelle ou son désir sont impératif. Or, une telle démarche n’est pas spontanée, elle implique d’être conscient d’un projet d’ensemble ou d’une œuvre à construire.

Toutefois une interrogation surgit, la pierre doit-elle être nécessairement taillée afin de  la rendre propre à l’usage auquel on la destine ? La pierre brute n’est-elle pas apte, dans sa singularité, ses aspérités et son opacité, à trouver une place dans l’édifice, ne serait-ce que par le rapprochement avec les autres pierres ? Faut-il lui donner nécessairement un aspect autre, la rendre homogène, la standardiser pour l’insérer dans le dessein collectif de la construction du temple de l’humanité ?

 

Ce faisant,  ne risque-t-on pas ainsi de lui retirer ce qui fait sa beauté ou son originalité ?

Si tailler une pierre est une soustraction, tailler sa pierre est un remplacement, en soi, de ce à quoi on renonce pour accueillir l’élargissement d’une conscience plus éveillée et plus spirituelle. Et ce,  jusqu’à ce que sa forme remplace la pierre brute en repoussant ses limites. «Chaque être humain est un trésor enfoui dans une cage de préjugés historiques, marqué par la famille, la société la culture, l’histoire» (Alejandro Jodorowsky). C’est pourquoi, il convient de penser que celui (ou celle) qui taille sa pierre, n’est ni dans le renoncement ni dans l’abnégation de ce qu’il est. Il est dans l’épuration de son être, parvenant ainsi à la découverte de ce qui est caché en lui pour faire résonner, dans sa conscience, l’écho de l’unité de l’esprit et de la matière.

«Tu dois devenir l’homme que tu es. Fais ce que toi seul peux faire. Deviens sans cesse celui que tu es, sois le maître et le sculpteur de toi-même», écrivait Friedrich Wilhelm Nietzsche.

Tailler sa pierre c’est lui donner des facettes pour mieux réfléchir la lumière.

… Et s’il ne s’agissait pas de tailler SA pierre pour se transformer mais de passer du travail de découverte de LA pierre brute au travail SUR la pierre cubique ?


[1] Solange Sudarskis, Que signifie tailler sa pierre ? éd. de La hutte, 2015 ; 2e édition, Éditions Ledifice.com, 2021.

1 COMMENTAIRE

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

Articles en relation avec ce sujet

Titre du document

Abonnez-vous à la Newsletter

DERNIERS ARTICLES