sam 20 avril 2024 - 13:04

De la terreur

Aller en Loge me manque, alors pour me remémorer tout ce que l’expérience maçonnique m’apporte, je relis les carnets que je remplis à l’issue des Tenues. J’y note aussi toutes les idées qui me viennent, quand j’écoute la radio, quand je lis la presse ou quand je lis un livre, ce qui explique pour quoi j’en ai une pleine étagère. J’ai donc relu les notes que j’avais prises en lisant le très intéressant Les Ames Errantes, de l’ethnopsychiatre Tobie Nathan. Il y explique la différence entre cette émotion fondamentale qu’est la peur, qui correspond en un sens à la raison pratique. La peur nous permet de nous maintenir en vie, en nous donnant le réflexe d’éviter le danger. Evidemment, on en vient parfois à craindre la représentation du danger au lieu du danger lui-même. Ou encore d’éprouver la peur de la peur elle-même, mais c’est une autre histoire. Tobie Nathan poursuit ensuite sa réflexion en expliquant la frayeur, qui naît d’un phénomène de surprise et qui constitue un état pendant lequel le corps reste disponible, et surtout la terreur, cet état dans lequel le sujet expérimente la dépossession radicale de son être. Plus précisément, selon Tobie Nathan, la terreur pourrait être « un anéantissement de soi pour éviter la mort ».

On devine aisément les conséquences de la terreur : soumission, captivité, esclavage… L’état de terreur implique que le sujet est d’ores et déjà captif. C’est d’ailleurs dans ce but que les organisations dissidentes commettent leurs exactions : plonger la population dans un tel état pour imposer leur agenda, leur volonté et leur vision de l’ordre social. Néanmoins, un gouvernement peut aussi régner par la terreur. Nous autres français avons déjà vécu cette période, la fameuse Terreur, où un rien pouvait vous envoyer à la guillotinei

Si nous allons plus loin, la terreur institutionnalisée est l’essence même de l’État totalitaire, selon Hannah Arendtii. Touty est fait pour rendre les hommes statiques et empêcher tout acte imprévu. Pire encore, l’état totalitaire basé sur la terreur parvient à faire se sentir coupables les citoyens faisant obstacle au processus de la terreur.

Or, dans cette page d’histoire que nous vivons, nous avons été tellement sidérés par les événements qu’on pourrait se poser des questions sur la dérive de l’État. L’arrivée de l’épidémie clairement prise par dessus la jambe, à en juger par la communication gouvernementale, (épidémie qui a fini par être requalifiée en pandémie) a entraînéla décision du confinement, nous le savons tous. Ce confinement qui s’apparente à de l’assignation à résidence sauf pour ceux qui sont réellement importants (et pourtant si méprisés par nos dirigeants) : les travailleurs du soin, de l’entretien, et du commerce alimentaire… Etrangement, les mensonges de la communication gouvernementale et les décisions prises (souvent sur des critères aussi pertinents que la présence de l’étoile machin dans la maison truc du zodiaque modifié par le coefficient de marée et l’âge du capitaine)vont dans le sens non pas de la protection des citoyens, comme devrait l’être le rôle de l’État, mais dans le sens de l’économie et des profits des grands patrons. Plus simplement, les actions de nos dirigeants vont dans le sens d’un « maintien à tout prix de la cohérence d’un ordre du monde mensonger », ce qui, selon Hannah Arendt, est une composante du totalitarisme.

Nous avons donc été dépossédés de nos corps, de nos libertés les plus élémentaires et de nos capacités de réagir. Nous avons accepté ce régime d’exception dont rêveraient les dictateurs les plus fous pour éviter la mort par la maladie ou par le défaut de soins, les services d’urgence ayant été dévastés par des années de new public management, d’austérité et de gestion d’entreprise.
Réunis, nous pourrions réaliser le danger que nous font courir nos responsables depuis 30 ans… Mais l’état de terreur nous empêche de réfléchir collectivement. Intéressant, car toujours selon Arendt, tout groupe lié par un intérêt commun autre que le maintien de l’idéologie d’État est un danger pour l’État totalitaire. Est-ce pour cela que des moments très importants comme les cérémonies du 8 mai sont annulées ? Pour amoindrir la mémoire collective et empêcher une pensée critique inspirée du passé ? Notons que c’est pour ce genre de raisons de liberté et de réflexion collective que les Francs-maçons et les régimes totalitaires ne sont pas copains-copains…

L’état de sidération dans lequel nous sommes plongés depuis le 17 mars nous empêche de réaliser dans quel monde de cauchemar nous allons sombrer : perte des acquis sociaux comme la durée maximale du temps de travail ou des congés payés, chèque en blanc aux grandes entreprises sans contrepartie sociale ni environnementale, paupérisation de masse en raison de la récession économique, dégradation du travail, maintien des emplois absurdes et néfastes, et bien entendu, poursuite de la destruction des services publics de santé et de la réforme des retraites. La pollution engendrée par la surconsommation et le tourisme de masse va reprendre. Les inégalités continueront de se creuser, tandis que ceux qui ont réellement le pouvoir, les grands patrons continueront de se gaver et de pratiquer l’évasion fiscale, avec l’assentiment de nos dirigeants. Ces derniers continueront leurs réformes délétères : destruction des services publics et des acquis sociaux comme les retraites, cadeaux du patrimoine stratégique aux grandes entreprises, destruction du code du travail, etc. Nous sommes incapables d’avoir un stock de masques, mais les stocks de lacrymogènes et de lanceurs de balles de défense vont bien, merci pour eux. Et ne parlons pas des dispositifs de surveillance généralisée, comme la future application à installer sur son smartphone ou les futurs drones du ministère de l’intérieur. Ce qui en dit long sur l’état d’esprit de nos dirigeants : la peur. Peur qu’ils souhaitent inspirer par un arsenal répressif disproportionné pour répondre à la peur que leur inspirent les mouvements sociaux et les vagues de colères que leurs choix politiques au nom d’intérêts autres que ceux du peuple ont suscités.

Et à propos de peur, l’écrivain et scénariste Alan Moore disait dans son graphic novel V for Vendetta: « People shouldn’t be afraid of their government. Governments should be afraid of their people », que je vous traduis : le peuple ne devrait pas avoir peur de son gouvernement, les gouvernements devraient avoir peur de leur peuple. Alan Moore s’est très probablement inspiré de ce mot du président américain et franc-maçon Thomas Jefferson, dont je vous livre une traduction personnelleiii : Quand les peuples craignent leur gouvernement, débute la tyrannie ; quand les gouvernements craignent le peuple, commence la liberté.

Ne laissons pas la République en marche vers le totalitarisme ou le chaos. Ne nous laissons plus faire.

J’ai dit.

iJe vous recommande à ce propos l’excellent roman de Jacques Ravenne La Chute- Les derniers jours de Robespierre (Perrin, 2020

ii Voir Les origines du totalitarisme, de Hannah Arendt.

iii Texte original : When the people fear their government, there is tyranny; when the government fears the people, there is liberty.

1 COMMENTAIRE

  1. A mon avis, pour se gaver et se livrer, sans vergogne, à l’évasion fiscal, les grands patrons n’ont pas besoin de l’assentiment de nos dirigeant : ces braves élus du bon peuple à l’esprit engourdi par toutes les nourritures matérielles et spirituelles (si on peut dire), servies par la plupart des chaînes de télévision et les supermarchés de la mondialisation outrancière sont leurs employés (payés par nous évidemment).

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Josselin
Josselin
Josselin Morand est ingénieur de formation et titulaire d’un diplôme de 3e cycle en sciences physiques, disciplines auxquelles il a contribué par des publications académiques. Il est également pratiquant avancé d’arts martiaux. Après une reprise d’études en 2016-2017, il obtient le diplôme d’éthique d’une université parisienne. Dans la vie profane, il occupe une place de fonctionnaire dans une collectivité territoriale. Très impliqué dans les initiatives à vocations culturelle et sociale, il a participé à différentes actions (think tank, universités populaires) et contribué à différents médias maçonniques (Critica Masonica, Franc-maçonnerie Magazine). Enfin, il est l’auteur de deux essais : L’éthique en Franc-maçonnerie (Numérilivre-Editions des Bords de Seine) et Ethique et Athéisme - Construction d'une morale sans dieux (Editions Numérilivre).

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